Conférence sur la sécurité et la vie privée - Colombie-Britannique

Conférence sur la sécurité et la vie privée

Groupe de discussion : Renseignement et protection de la vie privée : une fausse dichotomie?

Victoria (Colombie-Britannique), le vendredi 7 février 2014

11 h - 12 h 15, salon AB

https://www.rebootcommunications.com/events/privsec2014/

Traduction d'un discours prononcé par J. William Galbraith, Directeur exécutif,

Bureau du Commissaire du CST

Je vous remercie.  Je suis heureux d'être ici aujourd'hui pour contribuer à cet important débat.  

Ce qui m'a frappé hier dans l'exposé de Mme Cavoukian [Commissaire à l'information et à la protection de la vie privée, Ontario], c'est le nombre d'observations qu'elle a formulées qui s'appliquent au travail que nous faisons au Bureau du commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications et à l'approche que nous adoptons.

On ne saurait surestimer l'importance de la protection de la vie privée, en particulier quand des capacités intrusives sont en cause.      

Dans cette brève allocution, j'aborderai la question soulevée dans le titre de notre groupe de discussion, je décrirai les mandats du Centre de la sécurité des télécommunications (le Centre ou le CST) et du commissaire du CST, et je clarifierai certaines idées erronées que véhicule actuellement le discours public.  

Je tiens toutefois à faire remarquer avant tout que dans le contexte actuel, le commissaire Plouffe, tout comme son prédécesseur immédiat, souhaite que le dialogue public repose sur des faits et le bon sens. C'est d'ailleurs ce que nous nous attendons d'une personne qui a eu une longue carrière en tant que juge d'une cour supérieure. Même si l'on sait que, dans la sphère publique, il n'y a guère d'information qui ne puisse être dénaturée, mal interprétée, mal comprise ou fausse.

Nous avons mis sur le site Web du Bureau du commissaire une foire aux questions pour essayer de fournir des éléments de réponse à ces questions.

« Renseignement et protection de la vie privée », est-ce une fausse dichotomie? Oui. Les deux sont inséparables, et nullement incompatibles, depuis la création légale des deux principaux organismes de renseignement au Canada -- le CST et le Service canadien du renseignement de sécurité (le SCRS). 

Il y aurait lieu de s'inquiéter si un organisme de renseignement se concentrait uniquement sur son mandat de collecte, en ne tenant guère compte de la protection de la vie privée.

Or, le renseignement et la protection de la vie privée sont intégrés dans la loi qui oriente les activités de renseignement et les attentes en matière de protection de la vie privée, ce qui témoigne de l'importance qu'y accordent nos législateurs qui représentent les Canadiens. 

Le CST a un triple mandat : en bref recueillir, protéger et aider.

En premier lieu :

- le CST recueille des renseignements électromagnétiques étrangers, ou SIGINT. Toutefois, les priorités en matière de renseignement ne sont pasétablies par le CST lui-même, mais par le gouvernement du Canada.  

En deuxième lieu :

- le CST fournit des avis et des services pour aider à assurer la protection des ordinateurs et des systèmes de communication importants pour le gouvernement du Canada. C'est son mandat de la sécurité des technologies de l'information (TI) et cette tâche est en fait essentielle pour assurer que les renseignements personnels que les Canadiens communiquent aux différents ministères et organismes gouvernementaux sont à l'abri des pirates informatiques, par exemple, et d'autres personnes qui les utiliseraient à mauvais escient.  

En troisième lieu :

- Le CST peut fournir une assistance aux organismes fédéraux chargés de l'application de la loi et de la sécurité, par exemple le SCRS et la GRC, dans l'exercice des fonctions que la loi leur confère.

Le commissaire a pour mandat :

Feu le commissaire Gonthier, ancien juge de la Cour suprême du Canada, avait défini le rôle du commissaire du CST comme suit :

Le CST doit exercer une grande partie de ses activités dans le secret. Par conséquent, le rôle de mon bureau consiste à représenter l'intérêt public dans le cadre de la reddition de comptes – mais sans compromettre la mission importante du Centre. 

Et il existe des limites à ce que fait le CST.

Dans la loi habilitante du CST, c'est-à-dire la partie V.1 de la Loi sur la défense nationale, il est évident que les législateurs n'ont pas perdu de vue la protection de la vie privée. La législation impose des obligations précises au CST en matière de protection de la vie privée. Je vous en décrirai trois. 

En premier, en vertu de la loi, les activités de collecte de renseignements électromagnétiques étrangers et de sécurité de la technologie de l'information « ne peuvent viser des Canadiens ou toute personne au Canada ». Certains commentaires publics confus ont été formulés récemment, selon lesquels cette obligation ne s'appliquerait pas aux communications d'un étranger au Canada ou de deux Canadiens à l'étranger.  Elle s'applique cependant dans les deux cas.   

Deuxièmement, les activités du CST relatives aux SIGINT et à la sécurité des TI « doivent être soumises à des mesures de protection de la vie privée des Canadiens lors de l'utilisation et de la conservation des renseignements interceptés ».  

La troisième obligation en matière de protection de la vie privée a trait aux autorisations ministérielles,tant pour les activités se rapportant aux SIGINT que celles se rapportant à la sécurité des TI. Je m'attarderai aux autorisations ministérielles visant les SIGINT, qui font souvent l'objet de malentendus. Le commissaire du CST est tenu, en vertu de la loi, d'examiner les activités menées en vertu d'autorisations ministérielles et d'en vérifier quelques points importants.

Le CST doit cibler des entités étrangères situées à l'extérieur du Canada qui figurent parmi les priorités du gouvernement du Canada en matière de renseignement. Une entité ou personne étrangère peut, au cours d'une journée, communiquer avec un Canadien ou une personne au Canada, ce qui fait de cette communication une « communication privée » au sens du Code criminel et de la Loi sur la défense nationale.  

Avant l'adoption de cette loi en décembre 2001 comprenant la disposition sur les autorisations ministérielles, le CST n'était pas autorisé à intercepter une « communication privée » même si, par exemple, celui-ci ciblait un terroriste dans un pays étranger qui communiquait avec quelqu'un à Toronto ou Victoria.  

Et je doute que quiconque s'oppose à ce que cette « communication privée » soit interceptée et analysée afin de déterminer la valeur du renseignement étranger et, au besoin, qu'elle soit incluse dans des rapports à l'intention d'autres organismes gouvernementaux, qui pourraient y donner suite.

La loi stipule que le CST ne peut utiliser ou retenir une « communication privée » que si elle est essentielle aux affaires internationales, à la défense ou à la sécurité.  La loi exige également que des « mesures satisfaisantes » soient en place pour protéger la vie privée des Canadiens.  Les commissaires examinent les activités en vertu d'une autorisation ministérielle pour s'assurer que TOUTES les exigences, les restrictions et les conditions imposées par la loi soient respectées.

En ce qui concerne les « communications privées » interceptées par le CST en vertu d'une autorisation ministérielle, le problème est que le Centre ne sait pas avec qui communiquent les entités étrangères ciblées par ses activités. Par conséquent, le CST ne peut pas demander un mandat visant un Canadien en particulier puisque ce fait essentiel ne peut pas être connu. Il ne peut y avoir aucune intention de la part du CST d'acquérir la communication d'un Canadien ou une communication à destination du Canada; et le fait que la communication soit à destination du Canada doit être fortuit par rapport au ciblage intentionnel de l'entité étrangère à l'extérieur du Canada tel que prévu par le mandat dont le CST a été investi par la loi. Si le CST ciblait intentionnellement, dans le cadre de ses activités, une communication à destination du Canada avec un interlocuteur connu, cela serait illégal. C'est ce que le commissaire vérifie en examinant les activités du CST en vertu d'une autorisation ministérielle. 

Certes, le renseignement et la protection de la vie privée sont inclus dans la même loi, mais est-ce suffisant? Est-ce suffisant pour se conformer à la lettre de la loi? 

Là encore, je citerais l'ancien commissaire Gonthier :

Le respect des valeurs démocratiques fondamentales au sein du Centre, tant sur le plan individuel qu'à l'échelle de l'organisation, est d'une importance cruciale… Nous [au Bureau du Commissaire] avons pour mission de renforcer l'éthique de la légalité et du respect de la vie privée au sein du CST. En faisant bien notre travail … nous contribuerons en fait à l'efficacité du Centre. 

La culture de « l'éthique de la conformité » constitue la meilleure assurance contre les atteintes à la vie privée. 

Maintenant, permettez-moi de clarifier certains autres malentendus.   

Dans un premier temps, je me limiterai à deux d'entre eux; mais d'autres pourraient être soulevés au cours de la discussion.

D'abord l'indépendance du commissaire du CST.

La question concernant l'indépendance du commissaire est abordée sur notre site Web et c'est un point que Mme Cavoukian a soulevé hier et, avec tout le respect que je lui dois, je dois corriger toute suggestion que le commissaire du Centre de la sécurité des télécommunications n'est pas indépendant. J'ajouterais ici, pour insister à nouveau, que le commissaire ne « relève pas » du ministre de la Défense nationale et que le ministre ne peut modifier quoi que ce soit dans le rapport d'un commissaire.  Vous pouvez être sûr qu'un juge ayant passé sa carrière dans un domaine qui est à la base de notre société démocratique et qui repose sur le principe de l'indépendance judiciaire ne saurait tolérer l'ingérence dans son travail en tant que commissaire indépendant.

Les rapports classifiés du commissaire sont présentés au ministre parce que ce dernier est responsable de l'organisme de renseignement et qu'il peut par conséquent ordonner la mise en œuvre des recommandations du commissaire, ce qui s'est parfois produit par le passé lors du rejet d'une recommandation du commissaire. 

Le rapport annuel public du commissaire, préparé à l'intention du Parlement, est présenté au ministre qui doit, en vertu de la loi, le déposer devant le Parlement dans le délai prescrit. Là encore, le ministre ne peut modifier le rapport.

Le deuxième point que je voudrais clarifier a trait à la procédure et la méthode d'examen.

Lorsqu'elles ne peuvent voir ou savoir ce qui se passe derrière « une porte secrète », certaines personnes imaginent toujours le pire et perdent confiance. Et le commissaire est d'accord : « la confiance ne suffit pas ».

À cet égard, permettez-moi de vous faire observer que la méthode et la procédure que nous appliquons sont tirées des pratiques de vérification standardisées et généralement reconnues, notamment par le vérificateur général du Canada. 

Au cours d'un examen, nous ne nous contentons pas d'accepter l'information que nous donne le CST, de dire « merci » et de tourner les talons. Les agents chargés des examens doivent être sceptiques, rigoureux et tenaces, mais également équitables dans leur approche. S'il y a une raison de soupçonner que le CST n'est pas disposé à donner de l'information dans le cadre d'un examen donné, c'est là que nous devenons tenaces. Le commissaire a le pouvoir d'assigner à comparaître s'il en voit le besoin.   

Le commissaire a pleinement accès au CST. Il n'est limité d'aucune façon, contrairement à ce qu'a laissé entendre Mme Cavoukian hier. Je pourrais vous fournir des précisions ultérieurement sur ce sujet Madame.

À l'heure actuelle, nous pouvons dire que le CST est de « bonne foi ». Il est transparent dans ses interactions avec le Bureau du commissaire. Les employés du CST comprennent la hauteur des enjeux, en particulier en raison du climat actuel.

Il y a toutefois eu des moments de réelles tensions; et, en bout de ligne, si un litige subsiste entre le commissaire et le CST, il aboutit sur la table du ministre. Je peux vous dire qu'il n'est pas inutile, dans ces rares cas, que le commissaire soit un ancien juge d'une cour supérieure – trois commissaires étaient d'ailleurs des anciens juges de la Cour suprême du Canada.   

Un des principes fondamentaux des méthodes de vérification et d'examen standardisés et généralement reconnus est de vérifier les données. Les documents ou les entrevues avec le personnel travaillant sur des activités particulières nous livrent certains éléments d'information. On peut, et c'est effectivement ce que l'on fait dans le cadre de notre procédure, demander à avoir accès à l'origine de ces données, par exemple dans un système informatique.  On peut également avoir accès à un système pour faire des vérifications ponctuelles.

Permettez-moi de clore le débat en faisant observer que, s'il y a des préoccupations concernant ce que la loi autorise ou ce que le gouvernement ordonne, ces questions devraient être adressées au niveau politique et au Parlement. Quant à moi, mon travail pour le commissaire consiste à m'assurer que son mandat – tel qu'il est actuellement défini dans la loi – soit rempli de façon aussi exhaustive et tenace que possible, mais également de façon équitable.   

Je me ferai un plaisir de participer au débat.  Je vous remercie.

Date de modification :